IMG_3156 Article rédigé par par Guillaume Aubertin le 16/02/2016, à 09h25

Comment et pourquoi la communauté d’agglomération toulonnaise est-elle la seule de cette taille à ne pas s’être encore dotée d’un Transport en commun en site propre (TCSP) digne de ce nom? Enquête sur un projet vieux de plus de deux décennies qui peine encore à sortir de terre…

Cela fait des années que les spécialistes de la question lui décernent le titre peu glorieux de “pire ville de France” en matière de transport collectif. Mais alors pourquoi, en 2016, la communauté d’agglomération toulonnaise reste-t-elle la seule de cette taille à ne pas s’être encore dotée d’un Transport en commun en site propre (TCSP) digne de ce nom? Retour sur plus de vingt ans de tergiversations et polémiques politico-dramatico-judiciaires autour d’un projet de tramway qui n’a jamais vu le jour et qui n’a pas fini de déchaîner les passions. Car aujourd’hui, ce n’est plus d’un tram dont on parle, mais d’un Bus à haut niveau de service (BHNS). Qui se fait toujours attendre…

Pour un retour aux sources, ça n’a pas l’air de franchement l’émouvoir. La nostalgie, Robert Chirco s’en moque comme du premier meuble qu’il a retapé lorsqu’il a commencé sa carrière d’ébéniste, il y a une bonne trentaine d’années. Quand il nous emmène sur les lieux de son ancien atelier de Bon-Rencontre, le Toulonnais affiche une mine des plus réjouies. “Voilà. C’est ici que j’ai passé plus de trente ans”.

Sur la façade défraîchie de ce vieil immeuble de l’avenue Aristide-Briand, un imposant panneau jaune indique que “l’atelier d’art a été transféré 450 mètres plus loin, au 187, boulevard Laugier”. Ça va faire trois ans que le spécialiste des meubles anciens a été invité à déménager. La raison? Le local qu’il occupait est “frappé d’alignement”. Autrement dit, c’est à cet endroit très précis que devrait passer le futur Transport en commun en site propre (TSCP) promis aux 450.000 habitants de la communauté d’agglomération toulonnaise. Pas de chance. L’immeuble en question doit être rasé pour faire place au chantier.

Comme des dizaines d’autres commerçants basés à l’ouest et à l’est de Toulon, Robert Chirco a été exproprié en vue des grands travaux attendus. Heureusement pour lui, cela s’est fait sans heurts, ni fracas. Avec le recul, il s’estime même “gagnant dans cette histoire”, profitant aujourd’hui d’un local deux à trois fois plus grand, qu’il a pu acquérir grâce en partie au chèque que lui adressé TPM. “Je n’étais pas propriétaire de l’ancien local, rembobine-t-il. Donc il fallait juste me racheter le fonds de commerce. Je leur ai demandé combien ils m’en donnaient. Ils m’ont proposé 60.000 euros. J’ai dit que c’était pas assez. Ils m’ont finalement versé 70.000 euros, ce qui était assez bien payé”.

“Je prends jamais le bus”

En revanche, les autres boutiques voisines de son ancien atelier sont, elles, toujours en activité. Il y a là, une pizzeria, un institut de beauté et un bar-hôtel. Eux sont restés. En attendant que ça se tasse. Ils ont bien fait. Car aujourd’hui, dans le quartier, le projet n’a guère avancé. “On ne sait plus trop ce qui est prévu”, glisse Robert Chirco. Après tout, lui “s’en fout un peu” de ce projet de transport en commun. “Je prends jamais le bus”, souffle-t-il sans ambages. Le sujet fait pourtant débat depuis plus de deux décennies dans toute l’agglomération toulonnaise.

Situé à quelques pas seulement de l’ancien atelier de monsieur Chirco, le Walter Café et sa terrasse posée sur le trottoir offrent une vue imprenable sur ce nœud routier par lequel transitent chaque jour des milliers d’automobilistes. Ici, les habitués alternent entre petit noir et gros jaune dans une ambiance de fin de siècle où l’on peut encore jouer au billard ou au babyfoot. A peine lancé au comptoir, le sujet fait aussitôt réagir. “C’est pas demain la veille qu’ils vont venir détruire l’immeuble”, croit savoir Christian, le patron des lieux, air bougon, cheveux gris et veste du RCT sur le dos. Il y a trente ans déjà, ils voulaient démolir, mais on ne s’est jamais vraiment inquiétés. C’est plus du tout la priorité du moment”. Pour lui, “la ville n’a pas besoin d’un tram ou d’un bus à je ne sais pas quoi. C’est une connerie à dormir debout”, dit-il en continuant à servir des cafés.

“Pas prêts  dans nos têtes”

De l’autre côté du comptoir, Max embraye aussitôt: “On n’est pas encore prêts dans nos têtes pour avoir ce type de transport moderne. On n’a pas la mentalité”. Lui qui a “vécu à Strasbourg”, où le tram est aux transports ce que la choucroute est à la gastronomie locale – une vraie religion -, estime que “Toulon doit rester atypique. Ici, insiste cet ancien militaire, on est dans le sud, on est dans le Var, on est chez nous, alors faut pas venir nous casser les pieds. Chacun son truc.”

Ce truc est pourtant censé “faciliter la vie des habitants de la communauté d’agglomération”, comme le martèle Yannick Chenevard. Pour le vice-président de Toulon Provence Méditerranée, chargé des transports, “imaginer la mobilité de demain avec tous les outils dont on dispose est un enjeu essentiel pour le développement de l’agglomération”.

Sauf qu’aujourd’hui, Toulon reste à ce jour la dernière agglo française de plus de 250.000 habitants à ne pas être encore dotée d’un Transport en commun en site propre (TCSP) digne de ce nom. Ce n’est pas pour rien si les associations locales de défense du transport collectif ont entamé une véritable guerre ouverte contre Toulon Provence Méditerranée en créant, en 2009, le Collectif Tramway. Pour ces défenseurs du rail, farouches opposants à la politique de la ville, il s’agit ni plus ni moins que du “plus mauvais réseau de France pour une ville de cette taille, et à des années lumières des autres”. C’est en tout cas ce que répète depuis des années Valentin Giès (étiqueté PS), porte-parole du collectif et président de l’association Toulon @Venir. “Ce que l’on veut, explique-t-il, c’est mettre la ville dans une dynamique progressiste. Cela passe par la création d’un axe fort en site propre de grande capacité dans la mesure où 90% des déplacements de l’agglomération se font d’est en ouest”. Or, pour lui, comme pour la plupart des associations locales d’usagers des transports en commun, seul le tramway serait capable de transporter les quelque 4.000 à 5.000 passagers par heure estimés en heure de pointe.

“Le problème, regrette de son côté Maurice Franceschi, président de Toulon Var Déplacement, c’est que les vingt plus grandes villes françaises ont adopté le tram, sauf Toulon”. La preuve, selon lui, que le transport sur rail n’était pas qu’une simple mode apparue dans les années 90, à l’heure où les grandes agglos repensaient complètement leur système de transport en commun.

“Une histoire douloureuse”

Le tram à Toulon, tout le monde y a cru pendant des années. Hubert Falco le premier. Car en 2000, alors que la mairie de Toulon est encore entre les mains du Front National de Jean-Marie Le Chevallier, le préfet du Var signe la première Déclaration d’utilité publique (DUP) pour le tramway. Les premiers travaux sont prévus pour 2002. “Le FN avait déjà commandé les rails, se souvient Philippe Cretin, président régional de la Fédération nationale des associations des usagers des transports (Fnaut). Mais ils étaient un peu trop pressés. Il a quand même fallu payer le dédit”. En héritant en 2001 des clés de l’Hôtel de ville toulonnais, Hubert Falco annonce alors sa ferme intention de rouler pour le tramway.

Concrètement, le projet de TCSP de Toulon est une ligne de 30 kilomètres orientée Est-Ouest et ponctuée d’une cinquantaine de stations. Elle doit être réalisée en plusieurs phases. La première totalise 18 kilomètres et 30 stations, et traverse cinq communes: La Seyne-sur-Mer, Ollioules, Toulon, La Valette-du-Var et La Garde.

On a retrouvé l’un des cinq commissaires enquêteurs chargé d’étudier le dossier entre 1999 et 2000. Désormais rangé des “affaires”, Frédéric Ethève parle d’une “histoire douloureuse”. Mais ce qu’il a surtout retenu, c’est que “le premier dossier a été bâclé sur le fond et la forme alors que c’était la pièce maîtresse du devenir de Toulon. A l’époque, raconte-t-il, il n’était même pas prévu de passer par l’université, ni par la gare, ni par le futur hôpital de Sainte-Musse. C’était insensé”.

Volonté politique

Seize ans plus tard, l’ancien commissaire enquêteur garde toujours un goût amer en travers de la gorge. “On était dans un contexte pauvre de réflexion globale, décrit-il. Ils étaient pressés de rédiger un dossier pour avoir des subventions européennes. A ce moment-là, on n’avait pas de PDU. Rien ne démontrait que ce tram allait être efficace”. De nouvelles études sont bel et bien lancées mais le projet commence déjà à accuser un certain retard.

Entre 2002 et 2004, la société Sol Conseil est chargée de réaliser les études géotechniques du projet. Leur objectif: analyser, entre autres, l’épaisseur des sols afin de mesurer la faisabilité d’un tel chantier. “Très vite, on nous a écartés sans vraiment nous dire pourquoi. D’ailleurs, on ne nous a rien dit du tout”, relate Marine Da Silva, ingénieur géotechnicien chez Sol Conseil Méditerranée.

Le cabinet d’architecture Stoa gagne quant à lui le concours de la maîtrise d’œuvre en 2003. Conscient de la “vraie carence” dont souffre Toulon en matière de transports en commun, Thierry Ciccione, architecte et directeur de l’agence, a aujourd’hui eu le temps de faire son deuil. “Le projet n’est jamais sorti mais ça fait longtemps qu’on ne regrette plus. Même si le tunnel avait été créé dans ce but, rappelle-t-il. On enterrait les voitures pour laisser la place aux transports en commun”. Et de reconnaître aussi que “c’est une histoire de finances publiques et d’image de la ville”. Or, cet ardent défenseur du tram reconnaît qu’il manquait à l’époque “une réelle volonté politique” pour mener le projet à bien. “Le tram est une réussite pour toutes les villes qui l’ont adopté. Après, nuance-t-il, ce n’est pas parce qu’un élu l’a fait qu’il a été réélu derrière”. Chose qu’Hubert Falco confirme à demi-mots aujourd’hui: “On aurait complètement tué la ville et l’agglo en entamant des travaux aussi lourds sur le boulevard de Strasbourg alors que ceux du tunnel n’étaient pas finis”.

Les choses se compliquent

En 2005, la première DUP est revue et corrigée, accompagnée d’un plan de déplacement urbain (2005-2015) qui spécifie la construction d’un tramway en tant qu’axe principal du réseau de transport en commun de l’agglomération toulonnaise. La première tranche, longue de 9km, reliera la station Noël-Blache de Toulon à la station Clemenceau de La Garde, avec une mise en service prévue pour 2011. Entre-temps, le tracé a lui aussi été retouché, comprenant cette fois-ci les remarques soulevées par les commissaires de la première enquête. Il est désormais question de passer par l’Université de La Garde mais aussi par le futur hôpital Sainte-Musse, où sera construit le centre d’exploitation du réseau, avec un parking relais de 600 places.

Le projet semble sur de bons rails. Mais dès 2006, les choses se compliquent. Le président de Toulon Provence Méditerranée laisse publiquement entendre qu’il serait favorable au BHNS: “Si le fait de changer de système et donc de relancer une procédure fait économiser 200 millions d’euros aux contribuables, cela vaudra le coup de relancer une DUP”. Pourquoi et comment Hubert Falco a-t-il changé d’avis? Dix ans après, la question continue d’alimenter les débats dans le milieu. Avec le recul, le principal intéressé concède qu’il s’est “rendu compte que le tram n’était pas la bonne option ni pour les finances de l’agglo ni pour l’intérêt général du territoire”.

A cette période, Michel Bruère occupe le poste de vice-président de TPM, chargé des transports. “Je commençais à être inquiet, car j’avais bien compris que le ver était dans le fruit, philosophe aujourd’hui le retraité toulonnais. Je me suis longtemps demandé pourquoi M. Falco avait changé d’avis mais il ne m’a jamais apporté d’autre explication que celle du budget. Il disait que c’était moins cher sans aller plus loin”. Ce qui est certain, c’est que les élections municipales de 2008 se profilent. Le sénateur-maire craint-il alors de voir s’exprimer dans les urnes le ras-le-bol de citoyens toulonnais subissant des travaux d’envergure en plein centre-ville? C’est une théorie.

“L’étude qui tue tout”

En tout cas, pour Michel Bruère, l’argument financier ne tient pas la route. “C’est comme pour un grille pain, expose-t-il simplement. Ce qui compte, ce n’est pas le le coût à l’achat, mais le coût total avec toutes les réparations derrière”. C’est, en effet, l’argument souvent exposé par les défenseurs du tram. Lesquels sont formels sur ce point: “Le tram coûte bien plus cher (environ 500 millions d’euros contre 350 pour le BHNS) à l’achat mais beaucoup moins en entretien”. Et c’est ce que confirment les études du Certu Méditerranée, rebaptisé depuis Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). Des études commandées en 2009 par… TPM “en personne”. La mission du Certu est de donner un avis technique et indépendant sur le choix du système de TCSP de l’agglomération toulonnaise. “Cette étude qui tue tout, ils l’ont payée et l’ont camouflée, car la conclusion ne leur convenait pas”, dénonce aujourd’hui encore Valentin Giès, l’un des plus fervents défenseurs du tram que le Var ait connu.

Nous nous sommes procurés cette étude. Et effectivement, au travers d’une quarantaine de pages chiffrées et détaillées, il est clairement indiqué que le tramway représente la seule alternative capable d’absorber les déplacements quotidiens de 50.000 personnes. Les conclusions du rapport sont sans équivoque: “L’expertise confirme la pertinence du choix initial du tramway, qu’il soit sur fer, ou sur pneus (Translohr), avec une mise en service la plus rapide possible. Cette conclusion se base notamment sur le besoin d’un système capacitatif pour répondre à la demande estimée sur la première ligne de TCSP et sur une analyse économique sommaire sur 30 ans. La mise en place d’un BHNS en lieu et place d’un tramway pourrait créer des problèmes d’exploitation qui engendreraient des surcoûts et une insatisfaction des usagers.”

Aujourd’hui, le tram est donc définitivement (ou officiellement) enterré. C’est acté. Preuve que le sujet reste autant sensible pour les élus qu’il est flou pour les Toulonnais, Hubert Falco a d’ailleurs cru opportun de rappeler vendredi dernier en Conseil communautaire “qu’il n’y aurait pas de tramway à Toulon”. Voilà. Comme le reconnaît maintenant Michel Bruère, avec un certain fairplay quand on sait qu’il s’est depuis fâché avec l’intéressé, “c’était sans doute un bon coup politique de dire qu’il fallait faire des économies”. Car depuis dix ans déjà, et n’en déplaise aux associations pro-rail, le président de la communauté d’agglomération ne jure plus que par le BHNS. “Pourtant, monsieur Falco n’a jamais eu d’idée précise,analyse pour sa part Jean-François Guyetand, président du Collectif Tramway. Il a toujours entretenu un flou en gardant la tête haute”.

“On construit d’abord  et on voit après”

Cela fait plus de dix ans aussi que le patron du collectif milite “pour que les gens prennent du plaisir à prendre le tram, ou même le bus”. Mais selon lui, “cela passe par un TCSP attractif et de grande capacité”. “Regardez Nice! Ils avaient prévu 65.000 personnes par jour, ils sont à 100.000 aujourd’hui”, argumente-t-il. Lui ne se dit pourtant pas farouchement opposé à l’idée d’un BHNS. “Le plus gros problème, dit-il, c’est qu’ici, on fait les choses à l’envers. On construit d’abord et on voit après”. Jean-François Guyetand évoque notamment les quelque 600 expropriations foncières qui ont été réalisées par TPM pour pouvoir lancer le chantier. “La plupart se sont faites à l’amiable, précise Maurice Franceschi, mais quelques-uns ont tout de même résisté”.

C’est le cas de Daniel Vuillon. Depuis bientôt quinze ans, cet agriculteur ollioulais, propriétaire de la ferme des Olivades – la première Amap de France – se bat contre le projet de TCSP. Et pour cause, le tramway était censé couper son terrain en deux.  Pas pratique, non. Malgré les changements de plans du projet, la procédure d’expropriation a tout de même suivi son cours. “Quand ma mère est décédée, raconte-t-il, j’ai appris par hasard grâce au notaire que TPM s’était approprié mes terres au cadastre sans m’avertir”. Aujourd’hui, l’agriculteur n’a toujours pas lâché les armes. Et espère bien se “faire justice un jour” (voir notre vidéo ci-dessous)*.

Convaincu que le BHNS apportera des réponses concrètes au désengorgement de l’agglomération toulonnaise, TPM veut désormais passer la seconde. Difficile, en effet, de reprocher à la collectivité son manque d’envie. Bien au contraire. “L’idée, résume Yannick Chenevard, c’est d’améliorer la base existante en optimisant tous les atouts qui fonctionnent”. Le prolongement de la ligne U jusqu’au flambant neuf Technopôle de la mer d’Ollioules en est l’illustration parfaite. “Cette ligne a été créée il y a un an et transporte désormais 80.000 personnes par mois”, se félicite le monsieur Transports de TPM. Quand on aura aussi bonifié la ligne 1, ajoute-t-il, on aura deux lignes à haut niveau de service avec un passage toutes les six à huit minutes pendant les périodes de pointe”.

Maillage inefficace

Le Réseau Mistral souhaite donc se payer une nouvelle jeunesse. “Plus de 90% des habitants de TPM se trouvent à moins de 400 mètres d’un arrêt de bus”, se vante-t-on souvent du côté de TPM. Or, pour les défenseurs du tram, ce constat symbolise aussi “l’absurdité du maillage actuel”. “C’est juste impensable de voir 14 lignes différentes qui circulent sur le boulevard de Strasbourg, entre Castigneau et la porte d’Italie, s’insurge Philippe Cretin. Mieux vaut supprimer tout ça, avec un axe central qui dessert d’autres lignes”.

Tout le paradoxe du réseau est là. “On recense 1.663 km de lignes sur l’agglomération toulonnaise, alors qu’on en compte que 811 à Nantes, 352 à Strasbourg ou 360 à Montpellier, calcule Valentin Giès. Cela montre bien que le maillage fin est totalement inefficace”. Selon les dernières données de l’Union des transports publics (UTP), le nombre de voyageurs par an et par personne atteint péniblement la barre des 60 à Toulon, alors que la plupart des grandes agglos françaises présentent des chiffres au moins trois fois supérieurs (168 à Bordeaux, 182 à Grenoble, 211 à Nantes, 249 à Strasbourg, 328 à Lyon). Autrement dit, “avec trois fois plus de lignes et trois fois moins de voyageurs, cela ne peut pas être rentable du tout”.

Avec le BHNS, TPM entend donc rentabiliser et optimiser son réseau existant. Chose que la collectivité a déjà largement entrepris au cours des dernières années, en entamant des travaux ci et là. Sauf qu’en face, les défenseurs du rail semblent aussi têtus qu’un conducteur coincé en mode automatique. Et ne comptent rien lâcher, en saisissant la justice dès qu’ils le peuvent. Au tribunal administratif de Toulon, on commence même à être habitué à cette affaire qui n’a jamais fini de délivrer ses derniers rebondissements, telle une série télévisée des plus addictives.

Des bâtons dans les roues

Le 9 novembre 2012, le tribunal annule ainsi trois décisions de TPM, prises en vue de la mise en place du BHNS. La juridiction estime que la Déclaration d’utilité publique (DUP) n’a pas été respectée puisque celle-ci concerne à la base un tramway. Cette décision fait suite aux recours déposés par le Collectif Tramway. Ces recours visent à contester les travaux de réalisation de deux voies de BHNS dans le secteur de Sainte-Musse à Toulon et à la Panagia à Ollioules, mais aussi la décision prise en bureau communautaire, soit en comité restreint (plutôt qu’en conseil communautaire) de modifier le choix du TCSP. Finalement, TPM ne conteste pas le verdict du tribunal. La communauté d’agglomération décide en effet de ne pas faire appel et annonce son intention de lancer une nouvelle DUP.

Mais, deux ans plus tard, rebelote ou presque. Le Collectif tramway, toujours lui, saisit à nouveau la justice administrative afin d’annuler le permis de construire du centre de dépôt de Sainte-Musse. Cette fois-ci, le tribunal n’a même pas à trancher, puisque “TPM a fait marche arrière tout seul en arrêtant les travaux”. Pour Jean-François Guyetand, il s’agit alors d’une “victoire de plus” qui démontre bien, d’après lui, que“ces travaux sont complètement illégaux”“Ils veulent faire petit bout par petit bout, résume Philippe Cretin. Ils ont déjà réussi à nous devancer sur certains appels d’offres, comme pour les travaux réalisés près du Technopôle de la mer, mais maintenant, prévient le président régional de la Fnaut, on est à l’affût”. Ce qui n’a évidemment pas échappé à la collectivité toulonnaise.

Pour Hubert Falco, “ces procéduriers ont fait perdre du temps et de l’argent” à TPM. Une belle manière de contre-attaquer. “Ils n’avaient qu’à se faire élire pour appliquer leur projet de tramway au lieu de nous mettre des bâtons dans les roues”, balaie l’ancien secrétaire d’Etat chargé à l’Aménagement du territoire (2008-2009), dès lors qu’on évoque l’existence des partisans du rail. Car le sujet est éminemment politique. Pour le PS local, le tramway a toujours été un argument de campagne. “De toute façon, illustre Cécile Clément, directrice d’études “systèmes innovants et territoires spécifiques” au Cerema, plus qu’une décision technique, le choix d’un TCSP est avant tout politique”. Ce qui explique en partie les crispations qui ont toujours existé autour de ce projet.

Pas de DUP,  pas de TCSP

Aujourd’hui, Toulon Provence Méditerranée promet un nouveau Plan de déplacement urbain (PDU) dont les premiers travaux de préparation ont d’ores-et-déjà débuté. Celui-ci devra alors être voté en conseil communautaire dans les semaines à venir, avant d’être officiellement adopté d’ici à la fin de l’année. Suivra ensuite la DUP ad hoc. “Cela prouve notre volonté d’aller au bout de ce TCSP”, assène Hubert Falco. “Cette nouvelle DUP, poursuit-il, nous offrira surtout la possibilité de souplesse pour mettre en œuvre le projet le mieux adapté quand le site propre sera fait”. Et l’élu de promettre la mise en service du BHNS en 2019. Date à laquelle “les neuf premiers kilomètres entre l’université de Toulon et le Technopole de la mer seront livrés. Nous avons pris cet engagement, il sera tenu”, insiste le président de TPM.

Mais pour cela, encore faut-il que cette fameuse nouvelle DUP soit acceptée. Car, pas de DUP, pas de TCSP. Les associations pro-tram restent convaincues qu’un simple bus, fut-il “super” ou des plus modernes, arrivera vite à saturation. Dès lors, “on ne voit pas comment on pourra rendre ce projet d’utilité publique”, met en garde Valentin Giès. Et ce, pour plusieurs raisons. “Il faut savoir qu’un BHNS prend plus de place, notamment dans les virages, qu’un tramway, analyse Philippe Cretin. Mais surtout, même avec un superbus de 43 mètres, on arrivera automatiquement à saturation dès la mise en service de la ligne. Toutes les études l’ont montré”, martèle le spécialiste des transports varois. Sur ce point, la communauté d’agglo toulonnaise préfère toutefois se montrer sereine. “D’ici là, rassure Hubert Falco, les technologies vont encore évoluer. On étudiera donc toutes les offres et on choisira le bus le mieux adapté à nos besoins”.

Souvent présenté comme le seul des douze maires de l’agglomération favorable au tramway, Marc Vuillemot, le maire (PS) de La Seyne-sur-mer trouve effectivement le transport sur rail “plus pertinent et plus structurant”. Mais il n’en reste pas moins “prodémocratie”. Et accepte donc l’idée du BHNS, chèrement défendue par ses onze autres collègues. “Mais pour cela, indique l’élu, il est nécessaire de revoir la DUP pour intégrer l’évolution des enjeux territoriaux qui ont bien changé depuis les premières études”. Marc Vuillemot a même sollicité Hubert Falco ces dernières semaines à ce sujet. Il a finalement obtenu gain de cause, vendredi, lors du Conseil communautaire. “Le tracé devait s’arrêter en gare de la Seyne”, explique l’intéressé. Une délibération modifiée a donc été soumise aux élus, et approuvée dans la foulée. Celle-ci mentionne désormais un tracé de 20 km de long, qui desservira le site des anciens chantiers navals. Une petite victoire pour le maire de La Seyne. Qui a hâte aujourd’hui de “voir les pistes ouvertes par la Cop21 s’élargir ici pour que les transports en commun deviennent un simple réflexe.”

Un BHNS nommé désir

Si le tramway a longtemps été considéré comme le mode de TSCP qui tenait le plus la route pour les grandes agglomérations françaises, la tendance, aujourd’hui, se tourne plutôt vers le BHNS, jugé moins coûteux dans l’ensemble. “C’est ce que l’on constate dans la plupart des derniers appels d’offres, confirme ainsi Cécile Clément, du Cerema. Les collectivités ont de moins en moins de capacité d’investissement sur de tels projets”. Brandissant “la baisse des aides de L’État”, Hubert Falco abonde évidemment dans ce sens: “De plus en plus de villes qui ont opté pour le tramway, comme Bordeaux, sont en train de regretter de ne pas avoir opté pour le BHNS”.

Mais toujours est-il qu’à Toulon, certaines parties du tracé de la tant attendue première ligne du BHNS soulèvent encore bien des questions. C’est le cas à l’est de Toulon, sur la zone de Saint-Jean du Var. “C’est le tronçon le plus chaud, fait remarquer un spécialiste qui travaille sur le dossier mais préfère garder l’anonymat. Ici tout particulièrement, il va falloir trancher entre le transport en commun ou la bagnole. On ne peut pas tout faire. Dans ce quartier, enchaîne-il, l’attente a figé les choses et a participé au pourrissement du quartier, alors qu’un tram ou un BHNS redynamiserait tout de suite la zone”.

Le choix du non-choix

Or, ce que prévoit TPM aujourd’hui, c’est visiblement le non-choix. “On va pouvoir faire des alternances comme on fera aussi à la gare”, envisage Hubert Falco. Plus question donc de site propre sur tout le parcours, avec une voie dédiée au bus. “C’est toute l’intelligence et la souplesse du BHNS”, argue le président de la communauté d’agglo. Ce détail fait évidemment bondir les défenseurs d’un TCSP efficace et attractif. “Ils n’obtiendront jamais de DUP si l’idée est de faire circuler leurs bus au milieu de la circulation, avec les feux rouges et les embouteillages”, prédit Jean-François Guyetand.

Comme le rappelle toutefois Cécile Clément, “il n’y a pas de norme précise imposée pour le TCSP, ou de longueur de site propre à respecter. En revanche, le plus important, c’est de savoir si l’on peut vraiment parler de haut niveau de service”. Tout dépend donc de “la régularité, de la ponctualité et de la vitesse commerciale” du mode de transport choisi. “En soi, conclut la directrice d’études du Cerema, l’absence de site propre n’est pas forcément gênant mais à condition qu’il n’y ait pas de congestion sur le secteur concerné”.

Se pose aussi la question du Versement Transport (VT), l’autre cheval de bataille du Collectif Tramway. Le produit de ce versement prélevé aux employeurs privés ou publics sert au financement des dépenses d’investissement et de fonctionnement des transports publics urbains. Or, comme le rappelle Valentin Giès, “depuis 2004, TPM collecte le versement transport avec un taux de 1,75%C’est le taux maximum applicable lorsqu’il y a un projet d’investissement. Lorsqu’il n’y en a pas, le taux maximum est de 1%. Le problème, c’est que depuis 2004, les 220 millions d’euros récoltés devraient être affectés à l’investissement. En fait, les entreprises ont versé 220 millions d’euros pour un tramway qui ne roule toujours pas”. Ce qui pourrait évidemment poser problème si le TCSP tarde encore à voir le jour.

Sur ce point, TPM assure là aussi être droit dans ses bottes. Même si “c’est une question tout à fait légitime”, à en croire Catherine Renondin, vice-présidente de la Chambre régionale des comptes Paca. “Il faudra juste voir si, à terme, le taux du VT n’est pas trop élevé par rapport à un projet de BHNS dont le coût peut être inférieur. Mais à ce jour, TPM n’est pas dans l’illégalité”, précise-t-elle. Car la collectivité a le droit d’augmenter le VT en anticipant le coût des investissements. Mais tout dépendra de leur montant une fois que le réseau sera équipé. A posteriori, on pourra alors dire s’il y a eu tromperie sur investissement ou pas.”

Mais qu’est-ce qui se trame ?

La question qui se pose désormais, c’est de savoir quel système de transport (sur pneus donc) sera le plus adapté pour sortir TPM de ce bourbier technique et juridique. Un simple détail pour les habitants du Pont-du-Las. Eux ne sont pas du genre à ergoter sur le futur mode de transport qui irriguera leur quartier. “Ce que l’on voudrait surtout, témoigne Isabelle, la gérante de la boutique Leonidas, c’est qu’on nous tienne au courant. Car ça fait six ans qu’on est là, précise-t-elle, et qu’on voudrait faire des travaux mais on est bloqués car rien ne se passe”. A quelques mètres de là, les abonnés du Select Bar, centre névralgique du quartier, n’ont n’a pas l’air plus au courant de la situation. “Ce que l’on sait, assure Patricia, la patronne des lieux, c’est qu’ils ont cassé l’immeuble d’en face, mais on ne sait pas du tout ce qui est prévu, et surtout, pour quand ? Dès qu’il y a des grands projets à Toulon, résume-t-elle, c’est un peu du n’importe quoi.”

Située de l’autre côté de la rue, Inès n’en pense pas moins. Cela fait quatre ans que cette opticienne s’est installée ici, en bordure même du bâtiment qui a été détruit en vue de l’arrivée du TCSP. “J’ai acheté en 2007 en sachant qu’ils avaient un projet de tram, raconte-t-elle, alors je m’y suis préparée. En 2012, on m’a dit qu’il y aurait deux ans de travaux, mais aujourd’hui, on est toujours dans la poussière”. Elle est pourtant plus que réceptive à la problématique des transports collectifs. “Sur le principe, dit-elle, je trouve ça bien, pratique, écolo et même nécessaire”. Ce qu’elle apprécie en moins en revanche, c’est de voir son chiffre d’affaires “baisser de 50% à cause des travaux, alors que personne n’est en mesure de nous dire quand est-ce qu’on verra un jour le tram (sic) !”

à plus dans le bus… à haut niveau de service

En attendant la nouvelle Déclaration d’utilité publique, on préfère donc se montrer optimiste du côté de TPM. D’après Yannick Chenevard, la circulation automobile aurait sensiblement baissé au sein de l’agglomération. Même si “le souci premier, c’est toujours de travailler sur le désencombrement de la ville, plus que la pollution d’ailleurs”, élude l’élu. Lui a hâte de voir circuler le BHNS en site propre entre les deux universités de Toulon et la Garde. “Fin 2019, répète-t-il, les 9 premiers kilomètres de la première ligne seront opérationnels”. Le responsable des transports en fait lui aussi la promesse. Et espère bien que ce “super bus high-tech” qui sillonnera l’agglomération rencontrera autant de succès que la navette maritime du réseau Mistral, dont le taux de fréquentation a augmenté de 18% entre 2014 et 2015. “C’est le premier réseau maritime de France”, fanfaronne-t-on souvent à TPM.

Reste plus qu’à ce Bus à haut niveau de service de sortir enfin de terre et de rouler enfin sur les traces de ces fameux bateaux-bus, mais sans tomber à l’eau!  “Vous verrez, prophétise Yannick Chenevard. Ce n’est pas pour rien si on assiste à une explosion littérale pour ces BHNS, qui font aussi bien que le tram mais pour beaucoup moins cher. Même à Bogota, ils s’y sont mis !”

* Déjà contacté à ce sujet, TPM a toujours fait savoir que la procédure avait été faite “au regard du droit” “Dans le cadre de la DUP, ils ont été expropriés par arrêté préfectoral. Il y a eu une ordonnance d’expropriation que les Vuillon ont attaquée. La procédure se poursuit mais le recours n’est pas suspensif (…) Lorsque nous ferons la nouvelle DUP, il sera fait état du fait que nous n’avons plus besoin de ces terrains car le tracé sera sans doute celui des voies existantes.”